OrdiRétro : Peux-tu te présenter ?
Frédéric Motte : Pour faire rapide, je m’appelle Frédéric Motte, je suis compositeur pour les jeux vidéo et ingénieur du son au sein de mon Conkrete Studio dans lequel je produis des groupes de metal. Je viens de la scène demo Amiga pour laquelle j’ai oeuvré au sein de groupes comme Sanity, Alcatraz ou Dreamdealers sous le pseudonyme « Moby ».
OR : Continues-tu de suivre la scène démo en général, la scène Amiga en particulier ?
Frédéric Motte : J’essaye du suivre un peu la scene demo dans son ensemble, pas uniquement la scene Amiga. De temps en temps, je vais faire un tour sur pouet.net pour voir l’actu. Il y a une paire d’années, on s’est fait le streaming de la demo-compo d’une demo party (la Revision je crois) avec Rez à la maison. C’était chouette ! Il y a des trucs vraiment impressionnants. J’avais vraiment adoré la demo Smoke and Mirrors sur Amiga notamment.
OR : Après avoir travaillé chez Kalisto pendant une assez longue période, tu es devenu indépendant, ce qui semble être le cas de beaucoup de musiciens dans le jeux vidéo alors qu’on ne voit que très rarement des graphistes ou des programmeurs free-lance. Qu’est ce qui explique selon toi cette indépendance plus grande des musiciens ?
Frédéric Motte : Je pense que c’est d’abord une question de rentabilité. A l’époque où je bossais à Kalisto, il y avait constamment 4 ou 5 jeux en développement simultanément. Donc il y avait beaucoup de boulot sur le son et la musique. Mais maintenant, les gros jeux nécessitent des équipes beaucoup plus grosses et des temps de développement beaucoup plus longs. Ainsi, il est rare qu’un studio de taille moyenne bosse sur plus de 2 jeux à la fois. Donc forcément, il est difficile dans ces conditions de justifier l’emploi à plein temps d’un compositeur qui n’a généralement pas besoin de plusieurs années pour réaliser la bande originale d’un jeu, contrairement à un graphiste ou un programmeur qu’on peut facilement occuper pendant longtemps.
OR : Est-ce important pour toi de jouer également d’un instrument et de te produire sur scène avec un groupe ?
Frédéric Motte : Oui, complètement. Ca me donne une autre vision de la musique, une vision plus vivante qui se ressent sûrement dans ma musique. Mais de toute façon, depuis que je fais de la musique sur Amiga, j’ai toujours voulu insuffler à mes morceaux ce côté « live ». Du coup, même quand je fais de la musique électronique, j’essaye toujours d’y inclure des instruments live pour qu’elle garde un côté rock, et c’est pas pour me déplaire !
OrdiRétro : Tu as lancé le projet d’une OST de Nightmare Creatures, pourquoi ces jeux en particulier ?
Frédéric Motte : Parce que ça reste aujourd’hui une des OST dont je suis le plus fier, et qui finalement est la plus proche de mon univers musical. C’était la première fois que je pouvais faire des musiques metal, avec des vraies guitares, pour un jeu. Et les musiques d’ambiances des niveaux ont ce côté sombre et flippant que j’aime tant. Ca fait des années que j’avais envie sortir ça. On me l’a demandé tellement souvent…
OR : Comment travailles-tu pour réarranger les morceaux d’origine ?
Frédéric Motte : Alors il faut distinguer deux choses. Cet OST contiendra d’une part, les morceaux originaux remasterisés,et même remixés pour ceux de Nightmare Creatures 2. Attention, hein, remixés, ça veut pas dire que David Guetta est passé par là. Ce sont les morceaux originaux, sans aucune modification autre qu’une sensible amélioration sonore. En gros, j’ai rééquilibré les instruments, l’image stéréo, rajouté un peu de reverb ou de delay par ci par là pour que les morceaux sonnent un peu plus produits. A la base, ils étaient joués par le chip sonore de la PS1 à l’inverse des musique de Nightmare Creatures 1 qui étaient des pistes CD audio. Les instruments étaient par conséquent de qualité moyenne, vu qu’ils étaient stockés dans la mémoire de la console et qu’on disposait d’assez peu de place puisqu’on devait également y stocker les bruitages. Ce petit lifting a fait le plus grand bien aux morceaux qui sont désormais plus agréables à écouter sur un système hifi.
D’autre part, sur un CD bonus, il y a aura des nouveaux enregistrements des morceaux metal des 2 jeux. En effet, j’ai tellement appris en terme d’enregistrement, de mixage, et de mastering que ça me démange depuis des années de ré-enregistrer ces morceaux pour leur donner un son plus actuel. Donc il y en aura pour tout le monde. Ces morceaux seront présents aussi bien en version originales qu’en version rénovées.
OR : Quelles ont été les difficultés au niveau des droits ?
Frédéric Motte : Le principal problème c’est que pendant très longtemps je n’ai jamais réussi à savoir qui avait récupéré les droits de Nightmare Creatures 1 et 2 à la fermeture de Kalisto. Au milieu des années 2000 j’ai été contacté par un label américain qui voulait sortir les musiques de Nightmare Creatures 1. Je lui ai expliqué la situation, alors il s’est mis en quête des droits. Après plusieurs semaines de recherche, il les a finalement trouvés chez Namco US, qui lui ont refusé l’autorisation de sortir la BO. Il m’a donc proposé de sortir une BO constituée uniquement de ré-enregistrements des morceaux, à laquelle Namco US ne pouvait pas s’opposer. Mais ça ne m’intéressait pas vraiment, surtout vu les conditions financières qu’il me proposait.
Cette histoire m’avait passablement énervé, et j’ai rangé ce projet dans le dossier « à oublier ». Puis il y a une paire d’années, j’ai réouvert le dossier, en me disant, que j’allais finalement me débrouiller et sortir ça moi même. J’ai tenté de contacter les sociétés ayant été impliquées dans les sorties de Nightmare Creatures 1 et 2 afin d’obtenir les autorisations nécessaires, mais tous mes courriers sont restés sans réponses. J’ai donc lancé la machine quand même, vu que ça ne semblait émouvoir personne. Et puis en cours de route, alors que je pensais qu’ils n’avaient que les droits de Nightmare Creatures III, j’ai appris que c’était Ubi Soft qui avait tout récupéré. Après un premier refus de leur part, j’ai du mettre à nouveau le projet en stand by. Mais en insistant un peu et grâce à l’appui de Nicolas Gaume (créateur de Kalisto), j’ai finalement réussi à obtenir l’autorisation de publier une édition limitée à 1000 exemplaires.
OR : Comment prévois-tu de les distribuer ?
Frédéric Motte : L’OST sera disponible sous forme de CD, probablement en 2 éditions différentes. Une édition normale et une édition ultra collector dans un coffret en bois, avec un artbook de Pascal Barret (directeur artistique sur les 2 jeux) et quelques autres babioles. J’ouvrirai une boutique en ligne pour les distribuer, et la bande originale devrait ensuite trouver son chemin vers les plateformes de téléchargement, mais cette partie sera gérée par Ubi Music.
Mais avant cela, je vais lancer une campagne de financement participatif. C’est un projet un petit peu ambitieux, et les coûts de production sont plutôt élevés.
OR : Une date de sortie est-elle déjà prévue ?
Frédéric Motte : Non, mais j’aimerais que ça sorte dans le courant de l’année 2015. J’ai déjà pris beaucoup de retard en raison de mon emploi du temps, mais une grosse partie du travail est déjà faite. Les musiques de Nightmare Creatures 1 sont déjà remasterisées, celles de Nightmare Creatures 2 déjà remixées. Il me reste juste à réenregistrer les morceaux metal, et avancer sur le packaging qui sera conçu par Pascal Barret.
OR : Es-tu surpris de l’attente autour de ce projet (plus de 2000 fans sur Facebook, etc) ? Que penses-tu de cette demande ?
Frédéric Motte : Oui, un petit peu. Mais 2000 fans c’est finalement pas grand chose vu la manière dont Facebook limite les interactions avec les fans. Mais il y a quelques participants très actifs sur la page qui semblent vraiment attendre ça avec impatience. C’est encourageant, mais j’espère que l’engouement sera suffisant pour que le projet aboutisse !
OR : Plus largement, comment vois-tu la vogue du retro dans le jeu vidéo qui touche également la musique (mode du chiptune, remix d’anciens morceaux, etc) ?
Frédéric Motte : Pour tout te dire, je commence un petit peu à en avoir ma claque des jeux en pixel art avec une bande son chiptune. Trop de développeurs utilisent ces ficelles pour masquer une créativité pas forcément débordante ou un manque de moyen. Il y a de très bons jeux dans le style, mais bon. La forme commence un peu à prendre le pas sur le fond.
Quant à la musique, c’est un peu pareil. Rappelons-nous que l’avantage principal de la chiptune à la base, c’est de pouvoir faire tenir plusieurs minutes de musique dans quelques kilos octets. Donc quel est l’intérêt de mettre des musiques chiptune dans un jeu aujourd’hui si elle est au format mp3 ? Quand j’ai commencé à faire de la musique sur Amiga, on voulait fuir ces sonorités chiptunes, qui n’étaient quand même pas très agréables à l’oreille. On essayait de faire des musiques qui sonnent plus réalistes. Juste pour la petite histoire, en 1986, je voulais acheter un Atari ST. Je suis allé voir l’ami d’un ami qui venait d’en acheter un. Il m’a fait écouter la musique de Goldrunner et de quelques autres jeux. J’ai été choqué par le son produit par cette machine. Je suis rentré chez moi en me disant qu’il était hors de question que j’achète une machine 16 bits qui sonne moins bien que mon C64 ! Et je me suis tourné vers l’Amiga. Donc tu vois, en 1986 je trouvais déjà que le ST ou le CPC sonnaient comme de la mouise, donc aujourd’hui, j’ai du mal avoir ce côté nostalgique de la chiptune. Bien sûr, il y a eu quelques compositeurs qui ont poussés les machines dans leurs derniers retranchements au niveau sonore, mais c’est pas vraiment cet aspect là qui est mis en avant dans la chiptune d’aujourd’hui. Par contre, j’aime toujours autant les musiques faites sur C64, qui lui avait un véritable petit synthétiseur 3 voies embarqué. D’ailleurs, les sonorités chiptune que j’utilise le plus souvent dans mes musiques viennent du C64. Donc tout comme le pixel art, ça peut donner des trucs vraiment chouettes quand c’est utilisé avec goût et inventivité, mais je trouve qu’un peu trop souvent, on a recours à ces artifices graphiques et sonores juste parce que ça fait « cool ».
OR : Quelles sont d’après toi les spécificités de la musique de jeux vidéo ? Quels sont tes objectifs quand tu composes pour un jeu ?
Frédéric Motte : Les spécificités de la musique de jeu ont bien changé avec le temps. Autant je suis pas un gros nostalgique des sonorités chiptune, autant je reste accroc aux mélodies qui ont bercés mon enfance et mon adolescence. Bien malgré moi, professionnellement, je suis resté un peu bloqué sur les jeux sur consoles portables (GBA, DS…). Du coup, sur des consoles comme ça, on compose à l’ancienne, et ça me va. On sait ce dont la console est capable au niveau son, donc il y a ce côté oldschool qui est cette fois pleinement justifié. J’ai pu me faire plaisir sur des jeux comme Bakugan Rise of the Resistance, ou Totally Spies 3, tous deux sur DS, à faire des bandes sons bien pêchues dans l’esprit de ce que j’aurais pu faire il y a 20 ans pour des demos Amiga. C’était vraiment fun, et c’est avant tout ce que je cherche quand je compose pour un jeu. Je cherche à me faire plaisir pour que ce métier que je fais depuis 25 ans continue à me faire tripper ! Quelque soit le jeu, je cherche un moyen de faire quelque chose qui m’amuse tout en collant au jeu. C’est pas toujours facile, parce qu’il y a des jeux qui proposent des univers qui ne sont pas forcément très compatibles avec mes goûts, mais la plupart du temps, je me débrouille à trouver un truc marrant à faire avec.
Mais sur ces consoles portables, on peut faire des musiques qui respectent les codes de la musique de jeu video « historique ». Ces codes ont un peu tendances à disparaître sur les grosses productions actuelles, et à être remplacés, à mon sens, par des codes bien plus ennuyeux et caricaturaux.
OR : Actuellement une tendance lourde est de composer de la musique orchestrale, dans la veine des musiques de superproduction hollywoodienne. Comment vois-tu cette évolution ? Paresse ou convergence logique ?
Frédéric Motte : Les jeux étant de plus en plus réalistes graphiquement, il fallait s’attendre à ce genre d’évolution pour la musique de jeu. Imagine le Castlevania Lord of Shadow avec les musiques de Dracula X. Non, je pense que ça l’aurait pas fait… Mais pour autant, je trouve les musiques du jeu SNES bien plus marquantes que celles du blockbuster sur PS3. Cela dit, j’aime beaucoup l’OST de Lord of Shadow, ne nous méprenons pas. Mais je dois avouer qu’à quelques exceptions prêt comme le thème de God Of War ou Uncharted, ces musiques orchestrales marquent moins mon esprit que les musiques de jeux plus oldschool.
Mais c’est assez logique. Dans une BO de film, la plupart du temps, on retient le thème principal, mais le reste de la partition, c’est souvent de l’habillage musicale censé accompagner de l’image. Et comme dans les jeu aujourd’hui, la musique doit réagir à chaque action du joueur, on se retrouve souvent avec de la musique parfaitement insipide puisqu’elle se résume à une musique d’attente susceptible d’être coupée à tout moment par une musique d’action si des ennemis arrivent par exemple. Ce qui interdit plus ou moins toute écriture de thème fort, hors cinématiques ou intro.
OR : Que penses-tu des concerts de type Video Games Live ou Distant World qui jouent des musiques de jeux vidéo en live ?
Frédéric Motte : Toute manifestation qui puisse promouvoir un peu la musique de jeu vidéo et ses acteur est selon moi une bonne chose. J’ai assisté l’année dernière au concert des musiques d’Hitoshi Sakimoto organisé par Wayö Records. C’était vraiment chouette, intimiste, en présence du compositeur himself. Je préfère largement ce genre d’événement, au grand cirque à l’américaine des Video Games Live, mais il y en a pour tout le monde, et c’est chouette !
OR : Quelles sont les musiques et les compositeurs de jeu vidéo qui t’ont particulièrement marqué, à la fois comme joueur et comme musicien ?
Frédéric Motte : Il y en a tellement ! Le plus simple c’est d’y aller chronologiquement je pense ! Mes premiers émois musico-ludiques remontent au C64, grâce à des gens comme Rob Hubbard, Martin Galway, Ben Daglish ou Tim Follin. Les musiques Monty on the Run, Commando, Rambo, Parallax, Ark Pandora, Black Lamp ou Bionic Commando ont eu un effet bœuf sur moi ! C’était une époque ou je lançais des jeux très moyens juste pour pouvoir écouter la musique ! Je me souviens des parties ultra frustrantes de The Last V8 juste pour pouvoir entendre quelques secondes de plus de la musique de Rob hubbard. Plus tard sur Amiga, il y a curieusement eu moins de musiques de jeux qui m’ont marquées. J’avais tendance à trouver les musiques de demos bien plus intéressantes. A part quelques timeless classics comme Turrican II, Led Storm (encore Tim Follin !) Hybris ou Battle Squadron, j’ai pas grand chose qui me revienne en tête là. N’étant pas un joueur console à la base, j’ai découvert la NES et la SNES sur le tard. Et là, encore pas mal de découvertes incroyables, les plus marquantes restant pour moi la musique de Solstice sur NES (encore Tim Follin !) ainsi que celle de Chronotrigger, de Yasunori Mitsuda, ou encore le underwater theme de Donkey Kong Country. Et puis je peux te citer les musiques incroyables de Diablo par Matt Uelmen, J’aime également beaucoup les musiques des Ratchet & Clank sur PS3, composées par David Bergeaud. Il y en a tellement que je pourrais encore citer que ça remplirait des pages…
OR : Es-tu joueur toi même et si oui, à quoi joues-tu ?
Frédéric Motte : Oh oui, je suis très joueur ! Malheureusement, mon emploi du temps ne me permets de jouer aussi souvent que je le voudrais, ce qui fait que je joue souvent aux jeux avec plusieurs années de retards. Là par exemple, j’ai terminé Uncharted 2 il y a quelques mois, et je viens juste d’attaquer le 3. J’adore cette série de jeux. Le 2 est une complète réussite. C’est beau, c’est agréable à jouer, rarement frustrant, et le jeu te tient en haleine du début à la fin. Gros fan également des deux premiers God of War sur PS2. Quelle claque !! Je range également au rang des chefs-d’œuvre des jeux comme Red Dead Redemption, les GTA, Half Life 1 et 2, la trilogie Mass Effect, Dead Space que je viens de refaire pour enchaîner sur le 2, Silent Hill 1 & 2, X-Com sur Amiga, et tellement d’autres… Je suis également un gros fana de simulations automobiles. J’adore les jeux de bagnole ultra réalistes. J’attends avec impatience Project Cars, je joue pas mal aux jeux de F1 (en mode hardcore, of course) et je lorgne sur Assetto Corsa sur Steam qui m’a l’air vraiment pas mal. J’ai très envie de jouer à Alien Isolation, mais il va rejoindre la pile de jeux que je dois terminer avant :).
OR : Le mot de la fin ?
Frédéric Motte : Un grand merci à toi et à l’équipe d’OrdiRetro de m’avoir donné la parole. Les curieux peuvent aller faire un tour sur http://elmobo.bandcamp.com pour écouter quelques unes de mes musiques de jeux, ainsi que l’album de musiques Amiga remasterisées que j’ai sorti le mois dernier. Ils peuvent également suivre mon actu sur www.facebook.com/elmobo et www.twitter.com/elmobo . A bientôt !