Prêts pour le voyage? (Nirvana, Gabriele Salvatores, 1997)
Vous aurez remarqué une petite variation cette semaine : au lieu de présenter un film adapté d’un jeu vidéo, j’ai décidé de vous parler d’un film mettant en scène le jeu vidéo. Je pense ainsi varier un peu les plaisirs de temps à autre et j’espère que vous apprécierez ces petites incursions dans la sphère plus large du cinéma.
Et pour inaugurer ces disgressions, j’ai choisi Nirvana, de Gabriele Salvatores, film relativement peu connu mais mettons tout de suite les choses au clair, que je trouve absolumennt génial. Pourquoi? Et bien, voici quelques éléments de réponse :
– le personnage principal est joué par Christophe Lambert
– ça n’est pas un film holywoodien, ni même américain
– c’est un film cyberpunk
– c’est une mise en abîme subtile du jeu vidéo et de la réalité.
Pas convaincu? Résumons brièvement l’histoire avant d’examiner ces points plus en détail.
Nous allons suivre Jimi (Christophe Lambert), créateur de jeux vidéos pour la Okosama Starr, une mégacorporation qui semble règner avec d’autres sur une immense agglomération cosmopolite. Il lui reste quelques jours pour livrer le fruit de son travail le jour de Noël quand il découvre qu’un virus a donné une conscience à Solo, le héros de Nirvana, sa dernière production. Celui-ci se souvient en effet des parties précédentes à chaque fois qu’il meurt. Dès lors, Jimi va se mettre en quête d’aide pour pénétrer les fichiers de son employeur afin d’effacer le code source du jeu avant sa distribution dans le monde entier et épargner ainsi à Solo ces souffrances répétées – quête qui le mènera sur les traces de Lisa, sa femme partie un an auparavant. Les deux parcours – celui de Jimi dans la réalité et de Solo dans le jeu – vont dès lors être parallèles et se compléter progressivement.
Le casting donc est particulièrement sympa, avec un Christophe Lambert dans ses bons jours, ceux de Greystoke, de Subway et de Max et Jérémie. Il a juste ce qu’il faut de classe dans son rôle de programmeur vedette de sa mégacorporation et il n’en fait pas trop, ni dans son rôle de déprimé, ni dans sa quête au bout de lui-même. Les autres acteurs sont d’un bon niveau, avec mention particulière à Sergio Rubini dans le rôle de Joystick, personnage complexe, un brin déjanté. Notons aussi la présence ponctuelle d’Emmanuelle Seigner, qui a quelques bonnes scènes.
Deuxièmement, ça fait du bien de voir autre chose que du cinéma préformaté, prédigéré et prépensé. Au moment où j’écris, les écrans font rage de la confrontation estivale entre les derniers Spiderman et Batman et, tout en reconnaissant les qualités de ces films (plus de Batman quand même, Nolan a au moins le mérite d’avoir une vraie démarche d’auteur), il faut reconnaître que ce sont globalement des films sans surprise : spectaculaires et manichéens. Nirvana est complètement à l’opposé de cette tendance : peu d’effets spéciaux qui vous aplatissent au fond du fauteuil, pas de scènes d’actions à 100 à l’heure avec des explosions de tous les côtés, pas de méchants antipathiques et destinés à l’échec par leur orgueil ou leur sottise. Au lieu de ça, on sent que le film est fait avec les moyens du bord, en particulier au niveau des décors, sans que ça soit jamais ridicule (à l’instar d’un Tycho Moon de Bilal par exemple). L’utilisation de plan serrés permet d’éviter de voir trop les limites des moyens, tout en renforçant la sensation claustrophobique de cet univers sombre et violent.
Car s’il y a une raison de voir ce film, c’est que c’est bien un des rares films qui retranscrive l’ambiance cyberpunk des romans de William Gibson et consorts. Quand on voit les scènes d’immersion dans le cyberspace, on est en plein dans Neuromancer! Contrairement à eXistenZ ou à Matrix qui postulent que le cyberspace est à l’image de la réalité, ce qui est évidement bien plus commode pour tourner, Nirvana met en scène une représentation issue de la littérature des années 70. Le réseau est une ville, les dossiers des salles, les fichiers des objets (le bureau où est sauvegardé le code source du jeu de Jimi est particulièrement intéressant). On est assez proche dans l’idée des passages dans la matrice du jeu Beneath a Steel Sky – jeu cyberpunk, réalisé en collaboration avec Dave Gibbons, coauteur entre autres de Watchmen. Il y a aussi du Blade Runner dans les rues surpeuplées, dans la forte influence asiatique et même dans le thème de la quête de la conscience. A ceci près qu’ici, il ne s’agit pas d’androIdes mais d’un personnage de jeu vidéo!
Pour terminer, quelques mots tout de même sur l’utilisation du thème du jeu vidéo dans le film. D’abord, l’insistance sur la vision (Joystick est quasiment aveugle par exemple – pour avoir trop joué?) donc sur le côté vidéo du jeu. C’est l’idée que le jeu vidéo est un média proche du cinéma, que lui aussi est un jeu avec des images – qui racontent, qui témoignent, qui mentent, mais toujours des images. La construction du film se fait aussi comme une succession de niveaux, correspondant à des quartiers de la ville (le Centre, Marrakech, la super LV, etc), chacun avec son ambiance et ses personnages. Certains mécanismes propres au jeu vidéo sont aussi utilisés : le « die and retry » propre aux premiers jeux par exemple est ici vécu par Solo de manière traumatisante. D’une certaine manière, il devient un personnage-joueur (c’est le joueur en effet qui, normalement, acquiert de l’expérience au grès de la mort de son personnage), ce qui le met dans un non-sens existenciel. Il devient d’une certaine manière un avatar au sens original du terme, celui d’un dieu qui s’incarne sur terre, (notons au passage que ce concept est issu de l’Inde, comme le titre du jeu/film) mais un avatar impuissant, condamné/destiné/programmé à répéter sans cesse les mêmes actions. Nirvana se présente donc à la fois comme une actualisation de la réflexion habituelle sur le libre arbitre développée par la mise en abime de l’oeuvre et de la réalité (le monde est un théâtre), et comme une interrogation sur la nature de la conscience (ici provoquée par un virus, on n’est pas loin d’un « ghost in the shell » à la japonaise ou de l’idée que la conscience nait fortuitement des effets nons prévus de codes destinés à d’autres fonctions, idée dévéloppée dans I, Robot). Ensomme, la liberté est un bug!
J’arrête là, sinon je vais encore écrire un article de quatre pages mais je vous encourage fortement à voir Nirvana, c’est un film rare.
Rendu de l’univers
Qualité de réalisation
Divertissement