Le début du mois a été marqué par la sortie de Phortem, une nouvelle démo stupéfiante pour l’Amstrad CPC. Cette longue démo de 7 minutes est fortement axée sur le design et on sent que le graphiste s’en est donné à cœur joie de porter à l’écran un univers héroïc-fantasy plus proche de Conan que d’Harry Potter. A noter que la démo existe en deux versions, l’une pour CPC et l’autre pour CPC +, qui bénéficie de graphismes plus fins et surtout plus colorés.
Vous pouvez télécharger la démo sur le site Scene.org ou la visionner ci-dessous. Vous pouvez lire l’interview de NoRecess plus bas sur la page.
Version Amstrad CPC
Version Amstrad CPC +
NoRecess, programmeur de Phortem, a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la sortie de Phortem.
OrdiRétro : Bonjour, peux-tu te présenter et présenter Condense ?
NoRecess : Tout d’abord, je souhaite remercier l’équipe au complet d’OrdiRétro pour cette interview. Je trouve cela très appréciable de voir que vos actions ne se bornent pas à enummérer la liste des meilleurs jeux dits « retro » et faire évoluer une communauté autour de cela ! 🙂
Je m’appelle Arnaud et j’ai fondé le groupe de démo Condense en 1994. Nous avons commencé à œuvrer sur Amstrad CPC, puis PC, GBA, PS2, PSP.. et pour revenir aux sources en 2008 de nouveau sur Amstrad CPC. Le groupe a bien sûr évolué, les envies de chacun changeant bien évidemment avec le temps. En ce moment, Condense est composé d’un noyau « dur » de 2 personnes : moi-même, œuvrant sous le pseudo NoRecess en tant que programmeur, et Ced, pixel artist de génie 😉
OR : Pourquoi développer une démo sur CPC en 2013 ?
NoRecess : Je travaille dans l’univers du jeu vidéo depuis plus de 13 ans maintenant. Faire de la démo a été ma porte d’entrée pour commencer dans ce secteur. À titre personnel, je trouve que c’est un régal que de travailler le jour en utilisant des ordinateurs évolués, sur des projets complexes, et de revenir le soir à la maison et s’aérer les esprits sur des petits bouts de programmes assembleur Z80 !
Mais aussi car c’est incroyable tout ce qui a été fait sur Amstrad CPC ! Quand j’ai commencé à faire de la démo sur cette machine lorsque j’étais adolescent (1993), c’était une évidence que l’on avait déjà tout vu, tout découvert… En 2000, grace à Internet j’ai de nouveau regardé quelques démos dont École Buissoniere du groupe Overlanders. Quel choc! Il était alors devenu banal de transférer des musiques d’Atari ST vers le CPC (ces machines partageant le même processeur sonore), les effets classiques 2D (zoom, rotation, etc) étaient enfin devenus standard sur Amstrad CPC, la technique était au rendez-vous, les graphismes étaient originaux (cf. sans copie). Bref, travail très inspirant.
Mais c’est en 2008 que je me suis amusé à tester un compilateur C pour Z80 (le processeur du CPC) et à ma plus grande surprise, après quelques tests, ça fonctionnait très bien sur un vrai CPC ! Du coup, je me suis interessé d’un peu plus près au développement et c’est ainsi que j’ai fait quelques démos durant ces dernières années, dont les plus notables sont Pheelone (2009) et Phortem (2013).
Pour revenir à la question originale, pourquoi le CPC en 2013 ? Parce que selon moi on vient tout juste de découvrir, 30 ans après, les vraies capacités de la machine. Les gens ont pendant très longtemps ignoré les bénéfices du « musical track loading ». Pour faire simple, pendant 30 ans les démos CPC se chargeaient complètement de la disquette vers la mémoire, puis se lançaient. Mais grâce à la démo Batman Forever il a été démontré que l’on pouvait charger des petits bouts de démos sans interrompre la musique, améliorant grandement la durée de la démo. D’autres l’avaient déjà fait avant mais c’était plus des preuves techniques que du concret.
OR : Comment se passe le développement ? Développes-tu directement sur le CPC ou passes-tu par un émulateur ?
NoRecess : Certains irréductibles développent encore sur la vraie machine, et cela donne de très bons résultats, comme la démo Still Rising de Vanity. Le problème, c’est que cela ne permet pas de gérer un gros volume de données, ni d’effectuer de gros calculs complexes. À titre d’exemple, Phortem, notre dernière démo, interagit avec plus de 1000 fichiers différents ! J’utilise un PC qui me donne le confort d’une compilation rapide, tout en bénéficiant d’outils modernes de développement, dont un Source Control sans lequel je ne pourrais pas me passer (j’utilise Subversion pour gérer l’historique de mes code-sources).
Étant programmeur de profession, c’est tout naturellement que j’ai écrit, sur mon temps libre, ma propre suite d’outils pour convertir des images au format du CPC, faire des conversions diverses, précalculer des choses, du hachage… bref, tout ce qui est indispensable pour la réalisation d’un programme. Cette suite d’outils s’appelle Phactory et est architecturée autour d’un environnement de développement (IDE) de ma conception. Quelques informations peuvent être retrouvées sur la page dédiée de mon site.
Donc, je développe intégralement en utilisant mes outils et je teste sur émulateur. De temps en temps seulement, je transfère et valide mon travail sur la vraie machine.
OR : Quel a été l’effet le plus difficile à obtenir dans Phortem ?
NoRecess :
Dans la grande majorité des cas, tous les effets dans Phortem sont simples à faire ! Je pense que ce qui impressionne, c’est plus « la qualité dans leur quantité ». En effet, il faut savoir approcher cela avec une certaine maturité, c’est à dire accepter la réécriture complète d’un effet lorsque cela ne nous plait pas. Et vu le nombre d’effets dans la démo, ça prend un certain courage pour garder le cap ! 😉
Ainsi, j’ai complètement réécrit le twister 2 ou 3 fois (la partie avec le dragon derrière), avec des approches toujours différentes. Dans la version la plus rapide (celle présente dans la démo) on est très proche du Z80 : il n’y a quasiment plus aucuns traitements à faire, toutes les données sont déjà prêtes au format et au bon endroit dans la mémoire, plus aucun calcul n’est nécessaire, le processeur doit juste afficher l’image. Le zoom infini aussi était assez complexe, pas forcement à programmer, mais plus à comprendre. Il s’agit de plusieurs zooms imbriqués ! 🙂
Quant au reste, rien de particulièrement compliqué, comme je le dis plus haut cela prend de la rigueur et un certain investissement personnel. Il faut savoir que toutes les meilleures démos sur Amstrad CPC ont pris environ 2-3 ans pour chacune d’elles. Le plus difficile, le nouveau défi pour « demomaker confirmé en 2013 » si je puis dire, c’est de conserver une certaine cohérence dans le temps, faire que les premières parties soient dans la mesure du possible au même niveau que les dernières. Dans Phortem, c’est assez subtile, mais les premières parties « datent » un peu (c’est techniquement assez faible) alors que les dernières sont assez solides.
Et enfin, une démo est un « tout ». Je sais que cette entrevue est une discussion « personnelle », il est donc normal que je mette en avant l’aspect programmation; mais lors de la conception d’une démo ce n’est plus possible maintenant de privilégier un seul axe de compétences. Pendant trop longtemps, les démos ont été avant tout des démonstrations techniques (faire les mêmes effets toujours plus gros) alors qu’une nouvelle approche, pourtant établie depuis fort longtemps sur d’autres machines, s’impose désormais : il faut articuler la démo autour d’un thème solide, le graphiste ainsi que le musicien doivent s’exprimer autant que plus possible, le programmeur devant se mettre à l’écoute des requêtes des artistes et se placer au second plan pour supporter le tout.
OR : Est-ce que tu participes à des parties ou des rassemblement comme la ReSeT, la RGC…. ?
NoRecess : Je l’ai beaucoup fait par le passé. Mais je vis au Québec depuis 2003, et ici le monde « retro » concerne majoritairement ce qui a été fait sur console, très peu sur ordinateur. C’est très « européen » que de considérer les ordinateurs dans l’univers rétro. Fort heureusement, j’ai quelques amis ici qui partagent la même passion que moi, ça permet de se motiver mutuellement. 😉
Dans mon sous-sol, en plus de mon ordinateur principal je possède un Amiga 600, un C64, deux CPCs (un Old, un Plus), tous bien sur améliorés coté matériel (vive les SDCards, loin des disquettes défaillantes !), branchés et prêt à être utilisés! Je possède également la majorité des consoles 8-16 bits. Avec tout ce beau matériel, inutile de dire que c’est demoparty tous les soirs chez moi ! 😉
Enfin, pour être honnête, je me fais vieux (2 enfants !), mes obligations familiales m’empêcheraient de toutes façons de m’absenter sur une période de quelques jours pour assister à de tels événements.
OR : Joues-tu encore à des jeux retro ? Quels sont tes jeux préférés (actuels et anciens) ?
NoRecess : Je joue à l’occasion, oui ! Très curieusement, je m’aperçois que les jeux qui traversent le mieux le temps ne sont pas forcement les jeux les plus techniques (pourtant mis en avant lors de leur sortie), mais ceux avec des concepts simples.
Mes jeux préférés par type de machines:
– 64 bits : incluant la Xbox 360 😉 Forza 4 est très photo-réaliste, j’aime beaucoup. Trials Evolution a un gameplay bien accrocheur. J’aime aussi les réincarnations récentes de Street Fighter…
– 32 bits : Quake 3, Warcraft 3 (nous sommes en 2013, et je joues encore de temps en temps à ces jeux)
– 16 bits : Turrican, Jim Power sur Amiga (je ne comprends pas pour ce dernier, le gameplay est pas terrible mais pourtant, il a un « truc » qui fait que je le relance toujours avec plaisir !), Batman The Movie et celui sorti en 95 sur Genesis (Megadrive)…
– 8 bits : Cybernoid, Boulder Dash, Commando, Bomb Jack, Arkanoid… que des jeux simples qui procurent un plaisir immédiat.
Une chose est certaine en 2013: je pense que l’on a perdu de vue le coté « gameplay » des jeux sur consoles modernes, les joueurs veulent du « sensationnel », de « l’émotion », des belles histoires, des cinématiques calquées sur les films d’Hollywood… mais ou est donc passé l’aspect ludique dans ces derniers ? C’est pourquoi, une fois encore, je privilégies les jeux aux concepts simples et rapide à prendre en main (jeux de voiture : gauche-droite-accélérer, jeux de baston : tu cognes / tu gagnes, etc).
OR : Le mot de la fin ?
NoRecess : Soyez sérieux avec votre hobby ! Respectez le matériel, ne détruisez pas !
Et si vous êtes un collectionneur, alors collectionnez seulement les jeux et machines pour lesquelles vous avez un véritable intérêt, qui font tourner les choses que vous aimez vraiment, et non pas celles juste ayant pour but d’enrichir une collection personnelle qui prendra la poussière avec le temps. Votre portefeuille vous en remerciera. 🙂
Enfin, n’hésitez pas à visiter mon site personnel : www.norecess.net
Merci à OrdiRetro pour m’avoir donné l’occasion de m’exprimer.