Prenez deux grands créateurs mythiques du jeu vidéo. Donnez leur les moyens de faire ce qu’ils ont envie de faire. Utiliser baudruches sur cadavre. Saupoudrer de délicieux graphismes retro. Laissez mijoter un an et demi. Servez arrosé d’humour décalé et de remue-méninges épicé. Voilà!
C’est en effet à peu près la recette que se proposent de suivre Ron Gilbert et Gary Winnick, les auteurs de Maniac Mansion, le jeu fondateur du jeu d’aventure en point & click sorti en 1987 sur Commodore 64. Ils ont lancé le mois dernier une campagne Kickstarter pour financer leur nouveau projet, sobrement intitulé Thimbleweed Park. La campagne a déjà attiré plus de 13 000 fans et il reste une semaine pour atteindre les derniers objectifs additionnels (une version avec des voies enregistrées et un portage sur iOS et Android).
Grâce à notre habile déguisement en tentacule verte, nous avons réussi à approcher Ron et Gary et à leur poser quelques questions auxquelles ils ont bien voulu répondre en exclusivité pour nos lecteurs français.
OrdiRétro : Pouvez-vous vous présenter ?
Gary : Je m’appelle Gary Winnick, j’ai été le premier artiste engagé chez Lucasfilm Games en 1984. J’ai évolué et j’ai fini par mettre en place et assurer la direction artistique de la société pendant la première décennie de LucasArts. J’ai également fait le design de Maniac Mansion en collaboration avec Ron, et j’ai créé le jeu Defenders of Dynatron City. Plus récemment, j’ai écrit et dessiné Bad Dreams, une mini série de comics en cinq épisodes pour l’éditeur Red 5.
Ron : je m’appelle Ron Gilbert. J’ai fait Maniac Mansion avec Gary puis j’ai fait Monkey Island 1 et 2. Après j’ai fondé ma propre société appelée Humongous Entertainment et j’ai fait des jeux d’aventure pour enfants, puis j’ai fait quelques jeux casual, puis j’ai fait un jeu pour console appelé DeathSpank, puis j’ai fait un jeu casual appelé Word Spiral, puis j’ai fait The Cave pour PC/XBox/PSN/iOS/Android, puis j’ai fait Scurvy Scallywags pour iOS et Android et maintenant je suis en train de faire Thimbleweed Park. Ca y est, je suis fatigué.
OR : Pourquoi avez-vous choisi de revenir à un style en pixel art datant des années 80 ?
Gary : Nous avons l’impression qu’il y a une candeur et un charme particulier à ce style de graphismes qui évoquent en nous un sentiment de nostalgie pour Maniac Mansion, notre premier jeu d’aventure. Cela nous renvoie également à l’époque où les gens jouaient à des jeux qui équivalaient à des icônes colorées et animées. Je pense qu’il y a encore une connexion immédiate à ce style, les joueurs comprennent immédiatement ce raccourci visuel et remplissent le reste du monde avec leur propre imagination.
OR : Vous attendiez-vous à un tel succès pour un jeu aux graphismes aussi datés ?
Gary : Dans une certaine mesure. Je pense que l’important c’est le gameplay et la capacité à entrer en résonance avec notre public, et pas la question de savoir combien de rivets vous pouvez modéliser sur la coque d’un vaisseau spatial. Regardez Minecraft ou le Monopoly, les gens pigent tout de suite le truc et ces jeux rencontrent un succès énorme.
Ron : Les joueurs se souviennent avec beaucoup de bonheur d’avoir joué à ces vieux jeux d’aventure et nous nous souvenons avec beaucoup de bonheur de les avoir fait. Je pense que c’est une façon pour nous tous de revivre ces bons moments. Ou du moins d’essayer.
OR : Pensez-vous que le retrogaming soit une tendance éphémère ou durable ?
Gary : Je pense que les gens voudront toujours garder un lien avec les jeux qui leur ont laissé de bons souvenirs mais je pense que les jeux qui utilisent cette approche doivent également proposer un gameplay à la hauteur. La raison pour laquelle les gens ont des bons souvenirs de nos jeux créés avec le moteur SCUMM, c’est pour le gameplay et la narration.
Ron : Le retrogaming sera toujours populaire, c’est juste la définition du “retro” qui va évoluer. Dans 20 ans, tout le monde jouera à des jeux retro incapables d’afficher plus de 20 000 000 polygones à l’écran en même temps. Ce sera charmant.
OR : Certains jeux vidéo commencent à entrer dans les musées. Qu’en pensez-vous ? Quel jeu souhaiteriez voir accroché à côté de la Joconde ?
Gary : Je pense qu’il y aura toujours une place pour la préservation de la culture populaire, c’est juste une question de temps avant que les formes de divertissement populaire quelles qu’elles soient finissent dans un musée. GTA à côté de la Joconde ???!!! Pour ce qui est d’accrocher un jeu à côté d’un chef d’œuvre de la Renaissance, je reste un artiste et je ne peux pas le concevoir. Peut-être que dans cent ans, j’aurai une réponse différente.
OR : Pourquoi avez-vous choisi de recourir au financement participatif ? Quels en sont les avantages ?
Gary : Il est évident que nous avons encore affaire à un marché de niche, certes en expansion mais cela aurait été bien difficile de réunir un financement traditionnel pour un jeu comme Thimbleweed. De plus, avec Kickstarter, nous sommes libres de créer le jeu que nous avons envie de créer. En plus de ça, nous avons créé une communauté avec laquelle nous sommes maintenant intimement en relation pour le reste du développement.
Ron : La relation avec les joueurs est l’un des avantages majeurs du financement participatif. Quand nous avons fait Maniac Mansion, il n’y avait pas moyen de parler aux joueurs. Nous avons créé le jeu, nous l’avons sorti puis nous avons attendu trois mois pour avoir les tests dans les magazines. Le monde d’aujourd’hui est complètement différent. Nous n’avons même pas encore complètement commencé la production et nous parlons déjà avec 14 000 fans.
OR : Les deux personnages principaux font pas mal penser à Mulder & Scully de la série X-Files. Y aura-t-il des Aliens débiles impliqués dans l’histoire à un moment ou à un autre ?
Ron : Leurs personnalités sont très différentes de celles de Mulder & Scully. On n’avait même pas fait le rapprochement avant que les gens ne commencent à en parler. Ils sont vraiment différents dans notre tête.
OR : Sera-t-il possible d’aller sur Mars et de revenir afin de trouver l’essence pour la tronçonneuse ?
Gary : Cette fois l’essence pour la tronçonneuse sera sur Terre.
OR : En parlant de voyager, dans quel jeu vidéo voudriez-vous passer vos vacances ?
Gary : N’importe lequel pourvu qu’il propose une île tropicale luxuriante qui ne soit pas infestée d’extra-terrestres, de zombies, de trafiquants de drogue, de mutants en maraude, de vampires, d’armées d’envahisseurs, de fantômes, de dragons, de sorcières, de robots tueurs, de forces démoniaques, de dinosaures, de monstres, d’assassins, de tueurs en série, de plantes mangeuses d’hommes ou de tout autre créature ou environnement mortel qu’il soit indigène ou transplanté.
OR : En parlant d’île… des projets pour Monkey Island 3 ?
Ron : Monkey Island appartient à Disney aujourd’hui. Si j’en avais les droits et que je pouvais faire le jeu que j’avais envie de faire sans aucune ingérence extérieure, alors oui, j’adorerais faire Monkey Island 3.
OR : Le mot de la fin ?
Gary : Nous sommes dépassés et très reconnaissant pour tout le support que Thimbleweed Park a reçu sur Kickstarter et nous sommes impatients de commencer. Merci !!
Ron : C’est beaucoup de travail de mener un projet sur Kickstarter mais c’est maintenant que le vrai travail va commencer.