Ordiretro : Pouvez-vous vous présenter ainsi que l’Atelier Sentô ?
Atelier Sentô : Nous sommes deux dessinateurs : Cécile et Olivier.
Nous nourrissons un intérêt pour le Japon depuis de nombreuses années. Mais c’est véritablement quand nous y avons habité 1 an que nos projets se sont tournés vers cette thématique. Nous y avons découvert la campagne, le folklore, les festivals etc… L’Atelier Sentô est né de notre envie de faire découvrir un Japon loin des clichés touristiques à travers différents projets : BD, court métrage, jeu vidéo…
Notre duo se caractérise aussi par une volonté de travailler à la main. Nous aimons l’aquarelle, les crayons, mais aussi la photographie argentique, la linogravure, et toutes les techniques artisanales.
Lorsque nous avons créé l’Atelier Sentô, nous avions une réelle envie de communiquer. Nous voulions que des échanges soient possibles autour du Japon mais aussi sur d’autres sujets comme les techniques de dessin. Nous avons ouvert un blog Tumblr sur lequel nous montrons l’évolution de notre travail sur The Coral Cave. Avec le temps, cela donnera peut-être à certains l’envie de réaliser leur propre jeu ou de s’essayer aux différentes techniques. Il suffit d’un bout de papier et d’un crayon pour créer quelque chose d’amusant, à condition d’un peu de persévérance et d’imagination. C’est l’idée que nous souhaitons véhiculer .
OR : Le nom de l’atelier et le style graphique indiquent votre influence japonaise et le choix de l’aquarelle peut faire penser à Miyazaki. Quelle influence a-t-il sur votre style et sur votre perception du Japon ?
Atelier Sentô : On aime beaucoup Miyazaki et ce qui nous inspire le plus c’est son attachement sans faille au travail manuel et à une conception artisanale de son métier.
Cependant, même si nous sommes très admiratifs de son travail et que les films du studio Ghibli nous ont beaucoup marqué , l’univers que nous proposons n’est pas inspiré de ces œuvres, mais plutôt de notre propre expérience au Japon. En ce qui concerne le jeu, The Coral Cave, l’histoire se déroule à Okinawa. C’est un endroit très différent du Japon, avec sa propre culture. Notre univers se nourrit donc de musiques, films et peintures d’Okinawa.
OR : L’ambiance de The Coral Cave semble également présenter une sensibilité environnementale très forte. Est-ce un thème qui vous tient à cœur ?
Atelier Sentô : Notre travail est naturellement influencé par nos lieux de vie : nous déménageons régulièrement et aimons vivre en bord de mer, à la montagne, partout où la nature garde une place importante. La nature nous fait rêver et nous nous appliquons à la représenter telle qu’elle nous apparaît : splendide et mystérieuse.
OR : Pourquoi avoir choisi de réaliser le jeu en aquarelle entièrement faites à la main ?
Atelier Sentô : L’aquarelle est une technique que nous utilisons depuis longtemps. Ça nous plaît énormément : toutes les couleurs sont rassemblées dans une petite boite qu’on peut amener partout.
Nos boîtes d’aquarelle nous ont suivi au Japon et à Okinawa. On a fait un grand nombre de croquis d’observation avec. Dans les rizières, dans les forêts, sur de petites îles… Et maintenant, tous nos souvenirs du Japon sont en aquarelle.
Nous ne nous sommes donc pas vraiment posé la question quand on a eu l’idée de faire un jeu : c’était logique de continuer de travailler à l’aquarelle.
Nous avons été agréablement surpris quand nous avons commencé à communiquer autour du jeu. De nombreuses personnes nous ont dit attendre avec impatience un jeu en aquarelle. Ces derniers temps presque toutes les BD sont colorées sur ordinateur, presque tous les films d’animation sont en 3D. C’est réconfortant de voir qu’il reste malgré tout un intérêt pour des techniques plus artisanales.
OR : La musique de la vidéo (voir ci-dessous) est particulièrement envoûtante. Est-ce que ce sera la musique du jeu ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la musique ?
Atelier Sentô : Cécile a fait des recherches sur les comptines d’Okinawa et s’en inspire pour créer les thèmes musicaux. C’est assez discret, mais nous aimerions que les gens qui connaissent apprécient le clin d’œil et que les autres découvrent ainsi des sonorités traditionnelles. A la fin de la vidéo Gameplay #1, des voix d’enfants chantent la comptine qui a inspiré ce premier morceau. C’est une amie japonaise qui a enregistré ses filles pour notre vidéo. Par la suite, nous aimerions enregistrer des enfants d’Okinawa pour chanter dans la musique du jeu mais c’est peut-être trop compliqué car nous ne connaissons que peu de gens d’Okinawa. Dommage, car les Okinawaïens chantent particulièrement bien !
OR : The Coral Cave est votre premier jeu vidéo. Êtes-vous joueur vous-mêmes et si oui quels sont les jeux qui vous ont marqué ?
Atelier Sentô : Nous aimons jouer à tous types de jeu mais nous avons découvert assez récemment les point&clic qui sont à l’origine de notre volonté de créer notre propre jeu. Tout d’abord avec des grands titres comme Gabriel Knight ou Les Chevaliers de Baphomet, puis, petit à petit, nous avons découvert des productions plus récentes. Les jeux qui nous marquent sont généralement ceux qui proposent une vision artistique. Parmi eux, Oknytt et son monde féerique sombre et inquiétant, Lume et ses décors en carton, les jeux d’Amanita Design à l’esthétique inventive et aux dialogues sans parole ou encore les jeux comme Blackwell qui ont une grande qualité de narration et proposent un format court.
Nous accordons beaucoup de place à ce dernier point. Nous regrettons que, tout comme le genre de la nouvelle en littérature, les jeux courts soient dévalorisés alors qu’il proposent souvent un contenu plus dense et de meilleure qualité.
OR : Les graphismes de The Coral Cave donnent des envies d’évasion. Si vous pouviez prendre des vacances dans un univers de jeu vidéo, où partiriez-vous ?
Atelier Sentô : Le jeu n’est pas encore sorti mais nous rêvons déjà de nous installer à Lumino City. On aimerait louer un meublé avec vue sur la Mer de Carton. Tout est tellement minutieux et chaleureux dans les jeux de State of Play ! Ils font un travail magnifique.
OR : Est-ce une lassitude ou un désintérêt face aux jeux actuels qui vous a motivé à vous lancer dans la réalisation de votre propre jeu ?
Atelier Sentô : Au contraire, c’est la découverte de jeux superbes et originaux, venus du monde indépendant, qui nous a donné envie de créer notre propre jeu. On voit souvent de toutes petites équipe (parfois même une seule personne) créer des œuvres magnifiques et les distribuer eux-mêmes grâce à Steam, GoG, Desura… Le vrai déclic a été Machinarium avec ses décors griffonnés.
A cela s’ajoute la démocratisation des moteurs de jeu. Nous utilisons Wintermute, un logiciel gratuit, spécialisé dans les point & click. C’est un outil extraordinaire très accessible et aux possibilités multiples.
Nous aimons avant tout dessiner et raconter des histoires. Nous faisons habituellement de la bande dessinée, et nous avons vu là une nouvelle possibilité d’utiliser ce que nous faisons déjà quotidiennement mais aussi de découvrir d’autres techniques et moyens d’expression : l’animation, la musique, la programmation et la création d’énigmes et de puzzles.
OR : Entre retrogaming et vague des jeux indépendants, le jeu vidéo semble avoir trouvé un nouveau souffle et une certaine légitimité, y compris artistique. Pensez-vous que le jeu vidéo peut être une forme d’art ?
Atelier Sentô : Le jeu vidéo est un médium comme peut l’être le cinéma ou la BD. Si le cinéma et la BD sont considérés comme des formes d’art alors il n’y a pas de raison pour que le jeu vidéo ne le soit pas.
Heureusement, comme le cinéma et la BD, le jeu vidéo est avant tout un art populaire, ce qui l’empêche d’être dévoré par l’Art Contemporain (qui a anéanti la peinture et la sculpture pour les remplacer par des monochromes abstraits et des installations à base de chaises empilées).
Notre vision de l’art contemporain est assez péjorative : c’est un milieu de spéculateurs. Nous avons suivi des cursus artistiques et n’y avons trouvé que du mépris pour le dessin, la bande dessinée et le jeu vidéo. Ce qui est artistique n’est pas déterminé par ceux qui pratiquent mais par ceux qui théorisent et ceux qui financent. Ce sont de vieilles conceptions héritées de la seconde moitié du XXe siècle. Elles se sont volontairement coupées du public et sont condamnées à se rétracter sur elles-mêmes jusqu’à disparaître.
Le jeu vidéo vaut bien mieux que ça. Il est, comme la BD et le cinéma, une forme d’art actuelle et naturelle : un échange simple et enrichissant entre le créateur et le public, sans barrière et sans limite.
OR : Le mot de la fin ?
Atelier Sentô : Nous prenons beaucoup de plaisir à travailler sur The Coral Cave. C’est amusant de voir nos personnages prendre vie dans les décors, d’y ajouter de la musique, d’imaginer des énigmes etc… Réaliser un jeu nous permet aussi d’entrer en contact avec d’autres créateurs. C’est passionnant ! Pour nous, l’aventure ne fait que commencer et nous sommes impatient de découvrir ce qui nous attend encore.
Nous remercions OrdiRetro pour cette interview.